Avec le soutien du Service des arts plastiques de la Fédération Wallonie-Bruxelles
Dans le cadre de son programme d’ateliers-résidences, le Fonds Félicien Rops offre à des artistes plasticiens la possibilité de séjourner et de travailler au château de Thozée pendant une durée maximale de 14 jours. Les résidences sont réservées prioritairement aux artistes domiciliés ou résidant en Wallonie ou dans la Région de Bruxelles-Capitale.
Les résidences d'artistes 2023 se dérouleront sur deux semaines en juillet-août et septembre, selon les dernières activités à pogrammer.
Attention : les dossiers doivent être impérativement rentrés pour le vendredi 10 mars 2023 au plus tard à l'adresse suivante : info@fondsrops.org.
FFR. Quel est votre projet pour cette résidence? Est-ce que vous avez des idées plus précises sur ce que vous allez faire?
CHS. D'abord je suis venu avec une boîte de crayons de couleur que ma gentille épouse m'a offerte pour mon anniversaire. C'est une technique que je n'ai jamais essayé. Et puis je voudrais quand même aussi réaliser une série de sanguines, sur le lieu du château, une sorte d'exploitation – je n'aime pas ce mot qui se réfère au domaine industriel agricole – mais cela veut dire investir le lieu, l'appréhender sous toutes les coutures, avec ces deux techniques-là. Je verrai en fonction des journées comment cela va se passer. Donc l'objectif est de rester uniquement sur des petits formats, que je peux garder et sont un moyen de passer plus tard sur de plus grands formats au fusain. Mais l'idée pour le moment c'est d'observer ce que les jardins et le domaine peuvent m'offrir comme répertoire formel.
FFR. Charles-Henry on vous connaît pour des grands formats avec d'autres techniques avec une expression hyperréaliste de la réalité. Votre démarche actuelle vous permettra d'aller dans ce sens-là ou bien le fait de démarrer par des petits formats est une manière de faire vos propres repérages?
CHS. En effet ce petit format permet d'avoir une appréhension du lieu, de cadrer certains endroits qui m'intéressent. C'est cela l'avantage du petit format. Mais certains petits formats ne sont pas de simples documents que j'utilise en les laissnat de côté au profit de grands formats. Certains petits formats restent à l'état d'études mais ne sont pas, pour le moment du moins, reprojetés en grand.
FFR. Le grand format est-il votre moyen d'expression habituel?
CHS. C'est bien de le préciser. Je ne travaille pas uniquement sur de grands formats au fusain. Depuis peu je me suis aussi initié au pastel sec, aussi sur de petits formats, en couleurs. Et à nouveau je la cite, c'est mon épouse qui m'a offert par hasard, pour mon anniversaire, des sanguines. Et c'est un moyen que j'ai vraiment apprécié. C'est un medium que l'on n'a plus l'occasion de revoir couramment. Même moi, j'en fais l'aveu, je trouvais cela un petit peu démodé, ringard. J'avais eu l'occasion d'en revoir dans des foires d'antiquités – je pense à des dessins de Watteau ou de Hubert Robert – et en réutilisant cet outil-là pour passer plus tard à de plus grands formats, je me suis rendu compte qu'il y avait une sorte de chaleur, une lumière un peu métaphysique. Oui oui, c'était assez surprenant et j'ai été agréablement surpris par cette découverte.
Pour revenir à la question: certains petits formats vont rester des petits formats et ne vont pas
être utilisés pour en créer de plus grands. Et je préférerais maintenant aller plus dans le sens de formats plus petits. Garder le grand format pour autre chose.
Interview: Michel Renard
Artiste: Charles-Henry Sommelette
Projet motivé
La semaine passée, lors d'un atelier de peinture que j’anime de façon hebdomadaire à la prison des femmes de Forest, je présentais la vie et l'œuvre de Félicien Rops. Je parle à ces femmes de l’homme et de son implication dans un art qui tente de dresser le portrait de la société qu’il habite, loin des conventions sociales. De la manière dont il dépeint son époque en bousculant les préconceptions d’usages, en mettant à jour ce que la bienséance écarte pudiquement, ce que la morale bourgeoise dérobe au regard. Un artiste qui met à nu les mœurs de la société qui était la sienne. L’une d’elle m’interrompt en riant : « oui bah un peu ce que tu fais quand tu parles de nous, ‘les monstres sociaux’, dans tes expositions ». J’aimerais qu’elle ait raison, que ce qui m’anime artistiquement puisse remplir ce désir de critique féconde. J’ose avouer que cela fait partie de mes ambitions. J’aime penser que la voie artistique est un terrain de communication fertile qui permet d’aborder des problématiques sociales sous un jour nouveau. Que l’art est le lieu d’une ouverture, d’un déplacement du regard sur des questions que la littérature journalistique finit par épuiser.
Si Rops aimait les femmes, il nous en présente toutes les nuances. De la prostituée à la bourgeoise dévergondée, en passant par la buveuse d’absinthe, il illumine nos consciences de la diversité et de la beauté cachée derrière le paravent de la bienséance et du conformisme. La première fois que j’ai franchi les murs de la prison, je pensais rencontrer des monstres. Je ne les ai pas trouvés. Derrière les portes de mes angoisses et préjugés, en prison, j’ai rencontré celles qui peuvent être philosophes, mères, poètes et aussi femmes d’amour et de sagesse. Au travers de mon travail plastique, je tente donc de faire sortir leurs voix, des les faire exister au dehors et de ne pas les laisser s’éteindre; de donner la parole aux femmes de l’ombre.
Outre mon intérêt pour la critique sociale propre au travail de Félicien Rops, l’idée de résider dans la demeure de celle qui fût sa femme n’est pas sans susciter un nouvel écho à mes recherches. Charlotte Polet de Faveaux, femme du grand artiste, arpentant seule les salles de son château en attendant le retour de son amour dispersé. Femme de l’ombre elle aussi, solitude subie, victime de l’impact que peut avoir sur une vie le choix d’un amour tumultueux. En parallèle, plus de cent cinquante ans plus tard, au sein d’autres murs, des femmes me content la façon dont leurs passions et ce qui se présente comme leurs erreurs, les ont menées là où elles sont. Femmes de l’ombre, oubliées derrières les murs, ruminant une vie qui désormais s’effrite.
Projet envisagé
Voilà donc deux ans déjà que chaque semaine, je partage une après-midi avec ces femmes que la société a décidé d’écarter et tente d’oublier. J’ai, depuis lors, rempli nombre de mes carnets de témoignages, de fragments de leurs histoires passées et de ces anecdotes que seule une vie en milieu carcéral peut produire. J’ai aussi amassé de nombreux dessins (les leurs, les miens), des couleurs et des empreintes prélevées au sein même de la prison.
Ainsi, dans le cas où une résidence au château de Thozée me serait accordée, j’envisage d’utiliser le temps et le budget qui me seraient offerts afin de faire se rencontrer, au sein d’une forme unitaire, l’ensemble de ces éléments glanés. Je mettrais donc en place une forme d’édition, mêlant textes et images, traces, couleurs et autres fragments de vie que mon expérience à la prison de Berkendael m’a permise de récolter. Cet ouvrage serait l’occasion de faire entendre, mais aussi voir et sentir, le quotidien de ces femmes de l’ombre. En effet, la teneur plastique de cette édition aurait pour avantage de solliciter d’autres voies, d’allier le sensible et l’intelligible. Elle permettrait de susciter autrement l’intérêt pour cette problématique sociale qui jusqu’ici, reste trop souvent l’apanage des domaines juridiques et journalistiques. L’art est pour moi un moyen privilégié afin de faire état du monde, un atout incontournable dans l’ouverture des consciences aux possibles communs. Il est une force tranquille qui possède encore la capacité de surprendre l’intellect là où il ne s’y attendait pas. Atteindre l’intelligible et donner accès au savoir en dehors du discours, c’est bien là selon moi, que réside la puissance artistique et je pense ne pas me tromper en postulant que Félicien Rops incarnait, à plus d’un titre, cette sensibilité.
Interview par Michel Renard du 15 septembre 2017
Le projet sur lequel j'ai voulu travailler ici et pour lequel ma candidature a été acceptée, touche un atelier que je mène en prison avec des détenues. C'est un atelier de peinture, qui me permet depuis deux ans de récolter toute une série de matériels autant écrits que visuels. Je travaille avec ces femmes qui m'écrivent des lettres et qui me racontent leur quotidien. J'ai aussi pris toute une série d'images sur place sous forme de dessins, de notes, et parfois même aussi des petites empreintes.
J'ai donc tout un matériel avec moi depuis deux ans. Ca m'intéressait de venir travailler tout cela ici. Parce que d'abord il me fallait une certaine forme de solitude pour pouvoir comprendre et rentrer bien dans mon sujet. Mais aussi parce que cette maison est celle d'un artiste qui a touché à ce genre de problématique. C'est la maison de Félicien Rops et de sa femme, et pour moi c'était intéressant et important de travailler ici parce que pour Moi Félicien Rops est un artiste qui a traité des questions de ce type-là avec beaucoup de finesse parce qu'il a réussi à faire transparaître des expériences de vie de l'ombre.
Il parle beaucoup du mal, de personnalités qui vivent le vice. Il parle de crudités, de vices et de vertus, mais il parle aussi de toute la part d'ombre de la société. Et ce qui m'intéresse dans son travail c'est qu'il le fait sans faire transparaître trop de lourdeur. Tout est toujours et reste toujours lumineux dans son travail. Il arrive à dépeindre les tourments de sa société sans tomber dans le pathos et le pathétique, et c'est ça qui m'inspire beaucoup chez lui. Il y a quelque chose de l'ordre de la légèreté. Il est incisif et parfois même humoristique; et c'est cette force-là que j'aimerais arriver à manipuler pour parler de mon expérience en prison et de l'expérience que vivent ces femmes.
Ce qui m'intéressait pour parler de ces femmes, en étant ici, c'est aussi le fait que c'est la maison qui a abrité Charlotte, la femme de Félicien, et toute sa solitude. Cela ça me parle vraiment. Parce que j'ai l'impression que cette solitude est inscrite dans le bâtiment. Et cela fait écho à ce que vivent les femmes avec lesquelles je fais ce travail: elles se retrouvent dans des formes de solitude imposées. Imposées par les choix qu'elles ont fait dans leur vie précédemment, mais d'une certaine manière elles en subissent les conséquences pendant des années. De la sorte il y avait une forme de reflet avec la vie que Charlotte a pu mener ici dans ce château, qui m'intéressait beaucoup. Et de moi-même me retrouver dans cette même position, seule au milieu d'un énorme château vide, ça faisait écho à toutes ces expériences. Ca me permettait peut-être de mieux comprendre le matériel sur lequel je suis en train de travailler.
Voilà toutes ces femmes : les femmes des vices, les femmes seules, les femmes qui ont fait des choix dans leur vie, c'est la matière sur laquelle je travaille, et c'est pour cela que c'est une chance incroyable de me retrouver ici, de pouvoir penser à tout ça.
Ci-dessous: lettres envoyées à Céline Cuvelier pendant son séjour à Thozée, par des femmes en prison
Thierry Zéno (1) : Tu ressentais l’ambiance du passé à Thozée ?
Cyril Bihain (2) : Il y a beaucoup de choses à dire sur ce lieu. Je trouve qu’il y a beaucoup de paradoxes et des ambiguïtés. Il y a la matière, tout simplement, qui évolue : la pierre, les briques, tout ça est en train de se détruire et on essaie que ça reste. C’est qu’il y a une sorte d’humidité qui n’est pas dérangeante mais qui s’infiltre partout et qui a dû avoir une influence sur les gens qui habitaient ici. Parce qu’il y a une source, il y a des plantes qui poussent de façon extraordinaire et puis il y a ce bois qui se décompose lentement.
TZ : Et par rapport aux personnes qui ont vécu ici, tu y penses de temps en temps ?
CB : En venant ici, je me suis dit «Monsieur Rops va réapparaître ». Mais la personne qui m’apparaît la plus présente ici, c’est quand même sa petite-fille, à travers les objets… Je vois Rops plus comme un passager, quelqu'un qui vient, qui s’en va. Mais ce que je retiens de lui, c’est cette volonté de s’isoler que lui a recherchée. Finalement, la région n’a peut-être pas tellement changé. Ce château, ce parc, c’est un peu comme une île dans ce qui l’entoure. Oui, je n’ai pas tellement pensé à Rops. J’ai plus pensé à sa petite-fille.
TZ : Qu’est-ce qu’un artiste recherche dans une résidence ?
CB : Je ne peux parler que dans mon cas, bien sûr. Je pense qu’une des choses que je recherche, c’est l’isolement au moment de la création. C’est très important. Ensuite un lieu qui me procure un sentiment d’harmonie. Cela aussi c’est important.
TZ : Et tu as trouvé ici ce que tu espérais trouver ?
CB : Je ne savais pas ce que j’allais trouver. Ce que je recherchais en tout cas c’était de me rencontrer dans mon travail et je pense que j’y suis arrivé, par le temps simplement que j’avais à consacrer à ça. Mais je pense que, fondamentalement, le fait de percevoir cette nature ici, en soi est suffisant pour créer un contexte propice à la création. C’est mon cas personnel. Mais bien sûr, on seul ici la nuit. L’obscurité est totale, il n’y a pas un seul bruit à part celui des animaux. Cela peut avoir quelque chose d’inquiétant et pourtant je me suis senti très, très bien, très recueilli. Même si je me doute bien qu’en hiver cela doit être rude ou qu’avec moins de lumière cela doit être difficile. J’ai eu beaucoup de chance avec le temps. Je pense que le temps a joué un rôle important. Je pouvais ouvrir les fenêtres, j’étais en contact avec les oiseaux, avec le bruit du vent.
TZ : Par rapport à ton rythme de travail, tu travaillais beaucoup ou tu consacrais du temps simplement à percevoir le lieu, à te ressourcer sans nécessairement te mettre au travail ?
CB : Avec le temps je me suis rendu compte que c’était aussi important de ne pas juste être là en train de produire, de travailler, mais aussi de me dire « Stop ! Qu’est-ce qui se passe ? Où je suis ? Pourquoi je suis ici ? » et surtout « Qu’est-ce que je fais ? ». Et le moment est venu lorsque, dans l’acharnement des pistes qu’on suit dans mon travail de collages et de découpes, j’étais bloqué tout simplement par des questions de format, de bords. Et alors j’ai trouvé cela tout à fait normal de prendre du recul et de me dire « Voilà, je profite du lieu sans travailler.»
TZ : De notre côté, on se pose beaucoup de questions sur la manière de faire fonctionner ce lieu. D’une part, il y aura un espace muséal, c'est-à-dire un lieu de mémoire avec des vieux meubles, des tableaux XIXe, des choses qui vont être fort imprégnées de l’époque de Félicien Rops, et, d’autre part, on veut favoriser l’art contemporain et donner à des artistes l’occasion de travailler ici. Un espace muséal et un lieu de création, est-ce que cela te semble conciliable?
CB : Tu me poses une question difficile ! Je peux juste partir d’une expérience personnelle et dire ce qui m’a manqué ici : c’était de pouvoir accrocher mon travail d’une façon qui me permette de prendre une certaine distance et de le voir, non pas comme celui qui vient de le faire mais comme celui qui le regarde. Ce lieu qui permet de prendre du recul par rapport à la chose qu’on vient de faire, ça m’a un tout petit peu manqué peut-être. Et je peux imaginer qu’un lieu comme celui-ci, dans le cadre d’une résidence, pourrait mieux fonctionner avec un espace plus neutre, à côté de ce lieu chargé de son histoire et des gens qui y travaillaient.
TZ : Et que ce soit à la fois un lieu de mémoire et une résidence pour artistes ?
CB : Moi, ça m’inspire. La vie des autres m’inspire, les objets m’inspirent, les objets qui se détériorent m’inspirent. Je ne sais pas si ce sera le cas de tout le monde. Bien sûr, j’ai trouvé cette expérience extraordinaire parce que j’étais totalement seul et j’ai beaucoup apprécié cette solitude. Si c’est une structure plus grande, il y a d’autres personnes et on fait attention à l’autre.
TZ : Dans nos projets, on se dit que ce serait bien d’accueillir ici des gens venant de disciplines artistiques différentes, qui pourraient partager, au cours de leur résidence, un travail ou simplement échanger des idées, de mettre par exemple en même temps un écrivain et un plasticien ou des plasticiens de disciplines très différentes, ou un musicien et un plasticien. Est-ce que cela te semble une bonne piste ou est-ce que se serait plutôt dérangeant ?
CB : Après cette expérience-ci, je trouverais cela dérangeant. C’est ma réaction immédiate mais, en y réfléchissant, je me dirais « Avec qui je serais là ? Comment cela se passerait-il ? » C’est aussi beau de savoir qu’il y a quelqu’un qui travaille dans son coin, et moi dans le mien. Mais alors je pense que les lieux doivent être répartis d’une autre façon. Ici, le fait de pouvoir bouger dans le château, dans le parc, d’avoir un mouvement personnel qui ne doive absolument pas tenir compte de l’espace de quelqu’un d’autre, ça je trouve que c’est vraiment un luxe. Evidemment quand on est avec quelqu’un, on crée un autre espace de travail. Mais pourquoi pas ? Ce serait certainement intéressant de le faire peut-être pas à deux mais à trois ou à quatre. D’avoir peut-être quelqu’un qui s’occupe de l’intendance.
TZ : A propos des collages que tu as réalisés à Thozée, c’est ici que tu as mis au point la technique ou tu en avais déjà fait chez toi ?
CB : C’est quelque chose que j’ai souvent fait chez moi, ou ailleurs en résidence, en Allemagne cet été. J’étais parti d’un travail de lithographie et je voulais casser l’idée de cadre, de format, remettre en question le bord de la feuille. Et donc j’ai commencé à coller des bouts de lithographies les uns aux autres, sans vraiment savoir où cela allait aller et puis cela a conduit à ce travail-ci. Je pense que c’est encore un pas de plus vers cette idée de faire des vitraux, de vrais vitraux. L’expérience de la lumière est venue finalement avec ce bleu. Ce bleu a donné envie de jouer avec la transparence et m’a amené à regarder aussi la transparence d’autres papiers, de les voir non pas comme des supports mais comme des matières qui peuvent laisser passer la lumière. Ici une tentative de jouer avec la fenêtre, ce qui était mon idée au départ, de jouer avec les fenêtres du château. Mais c’est un projet titanesque : il faudrait passer un an ici. Et puis, est-ce que ces fenêtres ont vraiment besoin de vitraux ? Cela devient un peu trop une installation. Mais quand même cette idée de faire des projets de vitraux m’est passée par la tête.
TZ : Avec des formes et des contre-formes ?
CB : Je voudrais atteindre un moment d’ambiguïté où cette forme paraît à l’avant ou paraît à l’arrière. C’est un jeu très simple finalement de plans comme ici : est-ce que ceci est à l’avant ? Je trouve que ce sont des règles de jeu très simples avec lesquelles il y a moyen de développer énormément de choses.
TZ : Et tu l’as mise à cette fenêtre en particulier ou cela aurait pu être à n’importe quelle autre fenêtre ?
CB : Je pense que c’est pour des raisons de confort mais peut-être qu’avant ça, il y avait aussi une attirance intuitive.
TZ : Tu ne joues pas avec l’arrière plan ?
CB : Ici, c’est vrai qu’il y a un arrière plan mais j’aurais été plus en jeu avec le soleil qui bouge par là. La lumière est importante mais le soleil est moins un acteur dans ce genre de collage. Ici, j’aime bien la découpe dans le paysage. Le collage est une prolongation de la découpe qui existe dans le paysage. En fait, en faisant ces collages, quelque part, je me calme d’une certaine obsession de ne pas pouvoir m’empêcher de regarder les formes partout où elles sont. Donc quand je suis ici, je regarde sans arrêt ce qui est à l’avant, ce qui est à l’arrière. Cela en devient presque maladif. Et le fait de poser cela dans la feuille est une manière de m’en distancier. Cela fait partie de ma nature d’être humain de pouvoir percevoir le monde de cette façon-là. C’est comme cela que je le perçois.
TZ : Avec le temps, ça ne risque pas de se décolorer ou de se déformer ?
CB : Oui, c’est aussi un jeu avec le temps. Ici c’est un kakishibu, le jus oxydé du kaki, et dans quelques années, cela deviendra noir, en transparence toujours brun-rouge, mais si ce n’est pas en transparence, ce sera noir. C’est un papier d’ailleurs qui est utilisé au Japon comme pochoir pour la teinture des tissus. Par contre, ce papier bleu, c’est un papier qui imite le papier peint à l’indigo -- ça a été teint d’une façon artificielle au pinceau -- celui-ci devient clair, un peu comme un jean délavé. Il reste bleu et ce qui apparaît, ce sont les traces de pinceau justement. On les voit un tout petit peu ici. Le temps fait apparaître le geste de la personne qui a coloré ce papier. Tous les autres papiers deviennent jaunes ou bruns avec le temps. Celui-ci est brun parce qu’il est sale. Celui-là est déjà devenu jaune. Celui-là est en devenir.
TZ : Et la forme ne risque pas de se déformer aussi ? Il n’y a pas un côté aléatoire ?
CB : C’est un aspect technique. Effectivement quand on colle deux feuilles les unes sur les autres, on crée des tensions, surtout s’il y a des zones où il y a une couche et des zones où il y a deux couches. J‘essaie de résoudre ce problème en ne collant les feuilles que sur 5mm, sur une faible surface et, avec les différents morceaux, créer un réseau, un peu comme si on faisait du béton armé. C’est une feuille de papier mais à certaines zones, c’est un peu un réseau en toile. Je crée une structure qui en fait rigidifie l’ensemble. Donc il est possible qu’il y ait une ondulation qui apparaisse mais fondamentalement, je pense que cela restera plat. La limite est plutôt la colle. Est-ce que la colle va résister avec le temps ?
_____________________
(1) Thierry Zéno, cinéaste, directeur de l’Académie de dessin et des arts visuels de Molenbeek-Saint-Jean, administrateur délégué du Fonds Félicien Rops.
(2) Cyril Bihain a étudié la gravure, l’illustration du livre et la reliure à E.N.S.A.V. La Cambre. En 2000 il a poursuivi sa formation à l’Université des Beaux-Arts d’Osaka (Japon) où il a obtenu une maîtrise en 2003. Il enseigne dans diverses académies d'Art, francophones et néerlandophones, à Bruxelles.
(photos des collages-vitraux de Cyril Bihain par Laurette pendant les portes ouvertes 2014)
Site was designed with Mobirise